Pourquoi les investisseurs obligataires devraient-ils accepter le risque supplémentaire perçu associé aux marchés émergents?

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En bref

  • Les spreads des marchés émergents (EM) se sont comprimés malgré d’importantes sorties. Nous pensons que le potentiel augmentera avec la reprise des entrées dans la classe d’actifs, ce qui, à notre avis, se produira tôt ou tard.
  • La diminution des risques justifie la réduction des primes de risque. Plusieurs pays mettent en œuvre des réformes économiques positives et le resserrement des spreads a permis aux émetteurs à haut rendement de réaccéder aux marchés, entraînant une forte diminution des risques de défaut. La tendance à la dégradation des notations de crédit semble révolue et une tendance aux révisions à la hausse pourrait être sur le point de débuter.
  • Les comparaisons avec le haut rendement US (HY) surestiment le risque des marchés émergents. Les marchés émergents offrent une plus grande diversification ainsi que des sociétés moins endettées dans les mêmes catégories de notation et comportent de 50 à 60 % d’émetteurs Investment Grade.

 

L’amélioration des fondamentaux et le rythme des réformes expliquent le resserrement des spreads

Après un excellent début d’année dans le secteur obligataire, les investisseurs devraient fortement envisager les marchés émergents. Les obligations en monnaies fortes des marchés émergents ont débuté l’année sur les chapeaux de roues, générant des rendements positifs depuis le début de l’année, malgré la hausse des rendements des bons du Trésor américain.1 Les obligations souveraines (JP Morgan EMBIG Div) et d’entreprises (JP Morgan CEMBI BD) ont généré un rendement total respectif d’environ 2,7 % et 3,9 %, qui se distingue du rendement négatif de –2,1 % pour les titres obligataires agrégés mondiaux (JP Morgan GABI, ou –2,6 % pour l’indice obligataire agrégé mondial Blomberg Barclays). Cette performance est remarquable compte tenu des sorties continues que subissent les obligations des marchés émergents (voir le graphique 1).

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Pourquoi les spreads des marchés émergents se sont-ils resserrés malgré des flux sortants constants?

Les spreads des marchés émergents ont reculé en même temps que les spreads de crédit des marchés développés (DM). Les spreads des obligations souveraines des marchés émergents s’établissent à 348 pb, contre environ 447 pb il y a un an (hors obligations vénézueliennes en défaut, qui faussent le tableau), tandis que les spreads des obligations d’entreprises des marchés émergents se situent à environ 225 pb, contre environ 319 pb il y a un an.

Il est important d’analyser les données techniques en jeu. Tout d’abord, les données des flux des marchés émergents ne tiennent généralement pas compte des investisseurs cross-over et l’augmentation de leur allocation aux marchés émergents ne se reflète pas dans les chiffres. Lorsque des fonds qui ne sont pas dédiés aux marchés émergents vendent des crédits des marchés développés pour acheter directement des obligations des marchés émergents, au lieu de les allouer à un fonds dédié aux marchés émergents, la demande en marchés émergents augmente et les spreads se resserrent. De plus, malgré un marché primaire dynamique, les nouvelles émissions nettes (nettes d’amortissements, de coupons, de rachats / d’appels) ont été relativement faibles pour les obligations souveraines des marchés émergents et franchement négatives pour les obligations d’entreprises des marchés émergents, les rachats et coupons ayant été supérieurs aux émissions brutes (JP Morgan, juin 2024). Le fort recul de la présence des entreprises chinoises sur le marché primaire contribue à exacerber le déséquilibre entre l’offre et la demande. Ces deux facteurs ont considérablement contribué à la tendance au resserrement sur les marchés émergents.

Alors que les rendements des bons du Trésor américain se sont inscrits à la hausse sur une très grande partie de l’année, contribuant à la vigueur du dollar et en dépit de la persistance des sorties, la classe d’actifs a défié les prévisions les plus pessimistes et a généré des performances positives. L’amélioration des perspectives économiques mondiales, associée à celle des fondamentaux des marchés émergents et à la dynamique des réformes, a fait décoller la performance des obligations en monnaies fortes des marchés émergents, malgré les défis qui se posent à l’échelle mondiale.

Les actifs à risque mondiaux ont rebondi sur fond de diminution du risque d’une récession mondiale, gonflant les bénéfices des entreprises Les spreads des obligations des marchés émergents se sont également resserrés parallèlement au rebond des actions mondiales. La résilience de l’économie américaine a notamment donné un coup de pouce aux émetteurs sud-américains en raison des liens étroits tissés par le commerce, les investissements, les transferts de fonds et les déplacements. Les exportateurs de matières premières ont également bénéficié directement par le biais de l’augmentation des prix (à la hausse de 7,9 % depuis le début de l’année). La hausse de la valorisation des actions contribue également à améliorer la valeur relative de la dette des marchés émergents.

Il est en outre essentiel de noter que les obligations à haut rendement (HY) ont été le principal moteur des performances positives sur le marché obligataire et surperforment les obligations Investment Grade (IG) depuis la mi-juillet 2022. Au cours des douze derniers mois, les obligations d’entreprises et souveraines HY des marchés émergents en particulier ont généré des bénéfices de plus de 17,4 % et 13,4 % respectivement, par rapport à seulement 3,4 % et 6,6 % pour les obligations IG. Une sensibilité aux taux d’intérêt plus faible et des risques de défaut à la baisse en raison de la réouverture des marchés ont contribué à la surperformance des obligations souveraines HY.

Raisons pour lesquelles les investisseurs devraient envisager une diversification par le biais des marchés émergents:

1.    La compression des spreads est survenue en période de sorties

Nous considérons que le potentiel d’une compression supplémentaire à la reprise des entrées est important. Ensuite, la diminution des risques justifie la réduction des primes de risque (voir ci-dessous). Enfin, les comparaisons avec le haut rendement US surestiment le risque des marchés émergents. Nous considérons qu’il existe un potentiel de réduction des risques par le biais de la diversification. Les marchés émergents se composent en effet d’environ 80 pays, avec près de 60 et 50 % d’émetteurs IG respectivement pour les obligations d’entreprises et souveraines, ce qui réduit considérablement les risques de chocs spécifiques au pays ou au secteur. Sans oublier que les obligations d’entreprises et souveraines des marchés émergents sont moins associées à un effet de levier, et ce, même à l’intérieur du même compartiment de notation.

2.    Nous observons également une tendance à l’amélioration des notations de crédit des marchés émergents, consécutive aux dégradations intervenues pendant la pandémie

Les émetteurs des marchés émergents, notamment d’obligations souveraines HY qui ont perdu l’accès au marché en 2022/2023, ont concentré leurs efforts sur la mise en œuvre de réformes économiques orthodoxes, qui ont souvent été accompagnées d’un soutien multilatéral et bilatéral. Des exemples de ces réformes sont visibles dans différentes régions. En Turquie, une équipe d’économie orthodoxe a été nommée après la récente réélection du président Erdogan, incitant S&P et Fitch à rehausser la notation du pays à B+. En Amérique latine, l’Argentine a élu un gouvernement favorable aux marchés, entraînant cinq mois consécutifs d’excédent fiscal, du jamais vu depuis 16 ans. Les entreprises de ces juridictions sont ainsi parvenues à réaccéder aux marchés. En Afrique, plusieurs pays, notamment la Côte d’Ivoire et le Bénin, ont pu obtenir du FMI de nouveaux programmes, qui ont permis à la Côte d’Ivoire de bénéficier d’une amélioration de sa notation Moody à Ba2 et au Bénin de sa notation S&P à BB−.

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3.    Après leur augmentation dans le sillage de la pandémie, les taux de défaut des marchés émergents ont reculé et devraient poursuivre leur baisse

Contrastant avec la remontée progressive attendue des taux de défaillance des marchés développés. Depuis la pandémie, les cycles de défaut des marchés émergents et des marchés développés ont divergé et progressent à nouveau dans des directions opposées. Dans les marchés émergents, de nombreux émetteurs associés à des fondamentaux faibles ont déjà fait défaut au cours des quatre dernières années. Certaines obligations souveraines, telles que celles de l’Égypte et du Pakistan, ont reçu un soutien financier considérable de partenaires bilatéraux et multilatéraux, ce qui leur a permis d’affronter des situations difficiles. Les émetteurs d’obligations d’entreprises, notamment ceux qui résident dans des grands pays tels que le Brésil ou l’Indonésie, ont trouvé des sources de financement alternatives à l’échelle nationale. En 2024, la plupart des émetteurs à haut rendement ont pu réaccéder aux marchés, ce qui a réduit considérablement les risques de défaut. JP Morgan anticipe une diminution de 8,7 % en 2023 à moins de 4 % en 2024 des taux de défaut des obligations d’entreprises à haut rendement des marchés émergents. Entre-temps, JP Morgan prévoit une augmentation progressive des taux de défaut des obligations d’entreprises à haut rendement américaines de 2 % en 2024 à 3 % en 2025 et à 4 % pour les crédits à effet de levier. En fait, les marchés développés ont connu en mai 2024 la troisième plus forte activité d'échange de biens en difficulté jamais enregistrée.

4.    La performance des obligations EM IG devrait s’améliorer si les rendements des bons du Trésor américain chutent 

Les obligations IG des marchés émergents devraient contribuer positivement à l’avenir à la performance de la classe d’actifs. Les rendements des bons du Trésor américain devraient en effet reculer au cours des douze prochains mois et la duration devrait jouer en faveur des investisseurs pour la première fois depuis plus de deux ans. Dès lors que la performance positive de la classe d’actifs sera moins dépendante des émetteurs à haut risque, les entrées pourront faire leur retour, ce qui pourrait même resserrer davantage les spreads, malgré le ralentissement de l’économie.

 

5.    Les obligations EM en monnaie locale ont souffert depuis le début de l’année, mais elles devraient connaître un revirement

En 2023, ces obligations ont généré un bénéfice impressionnant de 12,7 %, dépassant les obligations souveraines (+11,1 %) et d’entreprises (+9,1 %) en monnaies fortes. Toutefois, la hausse des rendements des bons du Trésor américain et le renforcement du dollar américain (+4,4 % depuis le début de l’année) ont entraîné des bénéfices négatifs de 3,7 % depuis le début de l’année. Malgré tout, les devises EM ont résisté grâce au portage élevé des marchés émergents. En revanche, les emprunts d’État des marchés développés mondiaux (hors États-Unis) ont chuté de 7,2 % depuis le début de l’année. En euros, les investisseurs ont enregistré des bénéfices totaux GBI-EM légèrement négatifs de −0,5 %, tandis que la valeur refuge que constituent les Bunds allemands a reculé de 1,7 % depuis le début de l’année. Aucun événement négatif majeur n’a affecté spécifiquement les marchés émergents. Les obligations mondiales et les marchés des devises se sont simplement adaptés au niveau élevé prolongé des taux d’intérêt US.

6.    Les prix actuels offrent un accès favorable aux obligations EM en monnaie locale par rapport au début de l’année

Le rendement à l’échéance de l’indice JP Morgan GBI-EM a progressé de près de 40 pb depuis le début de l’année, pour s’établir à 6,6 %, reflétant la hausse des rendements des bons du Trésor américain. Bien que ce chiffre puisse paraître minime, il est intéressant de noter qu’alors que l’inflation américaine s’accélérait au T1 (et a ensuite repris au cours des deux derniers mois), le recul de l’inflation a été prédominant en Amérique latine et en Europe, l’Asie ayant enregistré des niveaux très faibles d’inflation. Par conséquent, cette hausse récente a considérablement favorisé les rendements réels dans les pays émergents par rapport aux marchés développés, notamment en Amérique latine.

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7.    Le pari des investisseurs d’un ralentissement de la conjoncture et de l’inflation américaines devrait bénéficier aux actifs locaux des EM

Cependant, la détermination du stade auquel se trouve le cycle conjoncturel américain s’est avérée difficile. Le recul de l’inflation a repris au T2 après une brève reprise de l’inflation au T1. En mai, l’indice des prix à la consommation n’a progressé que très légèrement sur le mois (0,006 %), tandis que l’indice de base des prix à la consommation a faiblement reculé, si l’on exclut les valeurs refuges. Le recul de l’inflation est donc bel et bien présent, même s’il est moins rapide qu’initialement prévu. De plus, l’économie américaine a réservé quelques surprises négatives, les données économiques s’étant avérées inférieures aux anticipations du consensus, ce qui pourrait signaler le début de la fin de l’exception américaine. Par sa résilience relative, le marché du travail est l’élément qui ne s’inscrit pas pour l’instant dans le tableau dressé. Il n’en reste pas moins que la Fed entamera tôt ou tard son cycle de d’assouplissement, très probablement en septembre, et les opportunités de baisses ne manqueront pas en 2025.

Pour les investisseurs stratégiques, qui pourraient être plus indifférents au stade exact du cycle économique américain, le niveau élevé des taux d’intérêt réels dans les marchés émergents laisse entrevoir des bénéfices ajustés à l’inflation favorables par rapport aux emprunts d’État des marchés développés à moyen terme.

Dans l’ensemble, en gardant à l’esprit tout ce qui précède, nous sommes optimistes quant aux anticipations de bénéfices totaux au cours des douze prochains mois. Les rendements des obligations souveraines en monnaies fortes des marchés émergents s’établissent à 8,3 %, tandis que les rendements des obligations d’entreprises des marchés émergents ressortent à 7,0 %, ce qui reste une valeur intéressante. Dans un scénario d’atterrissage en douceur, les spreads devraient rester stables et, soutenues par le recul des rendements mondiaux, les obligations en monnaies fortes des marchés émergents devraient générer des bénéfices dans le bas de la fourchette à deux chiffres au cours des douze prochains mois. Dans un scénario de prolongation des taux élevés, les bénéfices totaux se rapprocheraient du rendement actuel à l’échéance. Enfin, dans un scénario d’atterrissage brutal, les bénéfices totaux des marchés émergents seraient inférieurs, mais demeureraient probablement positifs. En effet, les rendements globaux chuteraient brusquement, compensant un élargissement des spreads de 200 pb.

Pour les obligations en monnaies locales des marchés émergents, un rendement de 6,6 % à l’échéance pour la classe d’actifs n’est pas un bon indicateur des bénéfices attendus sur douze mois en dollars, étant donné la volatilité du billet vert et des rendements des bons du Trésor américain. Si les rendements en monnaies locales des marchés émergents devaient retrouver leurs niveaux de fin 2023 (6,2 %) et le dollar annuler ses gains générés depuis le début de l’année, les bénéfices pourraient atteindre 12,9 % l’année prochaine. Bien que la poursuite de l’exception américaine rendrait les bénéfices totaux vulnérables à un dollar plus fort, il y a deux raisons à ce qu’une telle évolution ne nous inquiète pas outre mesure: les spreads des rendements réels actuels par rapport aux DM offrent une marge confortable puis, tout simplement, ce n’est pas le scénario que nous privilégions.

 

 

 

 

 

1. Graphiques au 20 juin 2024.

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