Devons-nous ajouter la lettre Q dans ESG?

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En bref

  • Les opinions divergent sur la question de savoir si les critères ESG offrent un ensemble de nouveaux facteurs indépendants constituant une source de rendement distincte. Pour beaucoup, cette question se base sur le chevauchement des critères ESG et du facteur de style d’investissement de la qualité.
  • Les difficultés jouent un rôle central dans cette discussion, qu’il s’agisse des multiples approches concernant la définition de la qualité, des différences en matière de stratégies ESG sur les marchés émergents et développés, ou de l’équilibre entre le besoin de méthodologies ESG standardisées et leur potentiel d’élimination des nuances.
  • Notre équipe Vontobel Conviction Equities intègre régulièrement l’analyse «ESG/durabilité» dans le filtrage des entreprises de qualité, généralement du point de vue de la rentabilité. Cette expérience nous montre que les critères ESG sont déjà incontestablement corrélés à la qualité, du moins lorsque la qualité est définie au sens strict, mais représentent bien plus que cela.

 

Les critères ESG représentent-ils simplement un autre label pour la qualité? Ou la qualité pourrait-elle constituer une description moins controversée et politiquement sensible des entreprises à forte durabilité? La question de savoir si les caractéristiques ESG des entreprises cotées forment un nouveau facteur indépendant et donc une source de rendement distincte par rapport aux facteurs systématiques soutenus par le monde académique1 a fait l’objet d’un nombre croissant de discussions dans la communauté des investisseurs ces dernières années. Pour simplifier, il est possible de classer le large éventail d’opinions à ce sujet en deux catégories principales:

Les deux extrémités du débat

Selon l’une des opinions, il se peut que les scores ou notations ESG ne fournissent aucune information véritablement nouvelle, car ils sont déjà inclus dans des facteurs de style d’investissement bien documentés tels que la qualité, la dynamique, le volume et la volatilité. Les études étayant cette opinion n’arrivent généralement pas à la conclusion d’une relation statistiquement convaincante entre un résiduel ESG idiosyncrasique (non expliqué par des corrélations avec les facteurs traditionnels) et les rendements actifs des portefeuilles (voir l’encadré 1 présentant une étude de la documentation académique récente).

À l’autre extrémité du spectre, certaines études s’efforcent de mettre en évidence l’existence d’un «alpha» ESG qui ne résulterait pas des expositions des facteurs traditionnels. Bien qu’elles ne rejettent pas un certain niveau de chevauchement entre les notations ESG et certains facteurs, et en particulier entre les notations de gouvernance et les différents sous-facteurs de qualité (p. ex. un faible effet de levier et une faible variabilité des bénéfices), ces études attirent également l’attention sur une prime, mineure mais notable sur le plan statistique et stable, issue des caractéristiques ESG et indépendante des facteurs traditionnels.

Chevauchement des critères ESG et de la qualité

La question empirique du chevauchement n’est pas encore tranchée. Toutefois, les spécialistes de l’investissement ayant acquis de l’expérience dans l’intégration des critères de durabilité ESG dans les processus de sélection de titres axés sur les entreprises de qualité dans différents marchés pourraient considérer d’autres points de chevauchement des critères ESG et de la qualité.

Tout d’abord, il est intéressant de mentionner que, contrairement à ce qui est le cas pour les facteurs de la valeur ou du volume, il n’existe aucune définition simple, consensuelle et fixe de la qualité. Les universitaires et les gestionnaires de portefeuille ont souvent des opinions différentes en ce qui concerne les dimensions (y compris la sécurité, la variabilité et la rentabilité) et l’ensemble précis des indicateurs utilisés pour filtrer les entreprises de qualité. Par conséquent, en fonction du choix de l’indicateur de qualité sous-jacent, la marge laissée aux facteurs ESG pour fournir des «informations supplémentaires» et générer une prime autonome peut varier.

Dans notre cas, puisque nous avons tendance à privilégier une définition de la qualité axée sur la rentabilité (un sous-facteur de qualité qui affiche généralement la plus faible corrélation avec les notations ESG), nous constatons souvent que la valeur générée par nos recherches ESG s’étend au-delà du filtrage préliminaire et de l’analyse financière subséquente des entreprises de qualité. En 2020, notre équipe mtx Emerging Markets a analysé la relation entre les scores des critères ESG et du rendement du capital investi (ROIC) et l’impact des critères ESG sur des entreprises à ROIC élevé. Cette analyse a permis de conclure que les critères ESG jouaient un rôle d’intermédiaire pour la qualité, ajoutant un rendement actif mineur, un peu plus significatif pour les entreprises à ROIC élevé. Un gestionnaire de portefeuille axé davantage sur la sécurité (faible niveau d’effet de levier et haut niveau de liquidité) aurait probablement tiré une autre conclusion.

Comparaison entre les marchés émergents et développés

Au-delà de leurs différences, la plupart des études empiriques s’accordent à dire que les niveaux de corrélation entre les caractéristiques ESG et les aspects de qualité varient d’un marché à un autre. Ils sont en général nettement plus bas ou inexistants sur les marchés émergents.

Nos observations pratiques ont tendance à soutenir cette affirmation. Appliquée aux marchés émergents, notre approche ESG intégrée s’est avérée une source durable de valeur ajoutée en termes de réduction des risques et/ou d’amélioration du rendement, par rapport à un filtrage traditionnel de la qualité (même axé sur la rentabilité). Au contraire, l’application de nos stratégies aux marchés développés pourrait avoir entraîné une baisse globale de l’influence de l’analyse ESG. Des exceptions sont cependant toujours possibles, notamment lorsque les progrès technologiques en matière de «production propre» pour un fabricant suisse majeur dans un «secteur sale » a contribué à assurer son positionnement dans le secteur et une valorisation plus élevée de ses actions.

Sur les marchés développés, une manière plus efficace pour identifier des sources défavorisées de «croissance durable» consiste à étendre l’analyse de durabilité à la dimension de l’impact des modèles commerciaux. Cela comprend la mesure de la capacité d’une entreprise de répondre (mieux que les autres) à la nécessité d’une transition économique mondiale dans un contexte de défis environnementaux et sociaux majeurs.

Le rôle essentiel de la nuance

À ce sujet, la documentation académique est d’accord en ce qui concerne la forte dépendance aux sources de notation ESG avec la plus grande couverture et le plus long historique. Le degré d’utilité potentiel de ces sources pour assurer la couverture de base d’un large univers ainsi que les défauts et les incohérences occasionnelles de ces données ont fait l’objet d’une documentation approfondie. Cela est particulièrement vrai pour le besoin des agences de notation de réagir aux méthodologies standard, qui peuvent entraîner un manque de nuances (et parfois de pertinence) parmi les différents secteurs, marchés géographiques, volumes de capitalisation, etc. C’est justement là qu’une approche plus granulaire, souple et ciblée, qui concentre l’analyse sur les dimensions et les critères vraiment essentiels pour chacun des sous-secteurs et des marchés géographiques, pourrait offrir une valeur ajoutée notable par rapport à l’utilisation systématique des données primaires.

En conclusion, notre expérience pratique en matière d’intégration de différents niveaux d’analyse «ESG/durabilité» dans notre filtrage des entreprises de qualité confirme que l’analyse ESG constitue une source supplémentaire d’informations, en général positivement primée. Toutefois, cette source peut varier en fonction de la définition de la qualité, de notre univers d’investissement et de l’importance de la dimension ESG que nous examinons pour différents secteurs et marchés. Les critères ESG sont sans conteste corrélés à la qualité, mais nous estimons raisonnablement qu’ils représentent davantage que cela, du moins lorsque la qualité est définie au sens relativement strict.

Une brève étude de la documentation récente concernant les critères ESG en tant que facteur indépendant

De nombreuses études ont établi une forte corrélation entre les notations ESG habituelles et certains facteurs de style d’investissement bien établis tels que la qualité et la volatilité.2 Par exemple, sur la base des positions de 1 312 fonds communs de placement en actions actifs aux États-Unis avec 3 900 milliards USD d’actifs sous gestion, Madhavan, Sobczyk et Ang (2021)3 ont conclu que les scores environnementaux étaient particulièrement sensibles aux expositions factorielles, plus de 75 % des changements des scores environnementaux au niveau des fonds s’expliquant par les facteurs de style. La même étude a isolé un score ESG «singulier», non expliqué par les facteurs les plus corrélés au «facteur ESG». Aucune relation statistiquement convaincante entre ce score ESG singulier et le rendement actif des fonds n’a pu être établie, ce qui suggère que les scores ESG à eux seuls ne fournissent aucune information supplémentaire par rapport à celles déjà comprises dans les facteurs de style.

Soutenant les critères ESG en tant que facteur en partie indépendant, Chen et Deleon (2020)4 ont découvert que les portefeuilles constitués sur la base d’une combinaison de facteurs ESG et de qualité affichaient des caractéristiques de rendement plus solides que ceux constitués sur la base de l’un de ces deux facteurs pris individuellement, ce qui suggère certaines informations indépendantes entre l’un et l’autre. Bennani, Guedenal, Lepetit, Mortier et Sekine (2018) ont découvert que les critères ESG pourraient constituer un facteur de risque indépendant en Europe, mais pas en Amérique du Nord, où ils se sont avérés redondants par rapport à d’autres facteurs. Une analyse plus granulaire par Behringer, Bush, Dahlhaus et Sidorovitch (2023)5 a confirmé que les corrélations entre les scores ESG et de qualité étaient faibles en Europe, en Amérique du Nord et sur les marchés émergents. Les corrélations étaient plus fortes entre les critères ESG et le sous-facteur de la sécurité (faible effet de levier et faible variabilité des bénéfices), et plus faibles dans le cas du sous-facteur de la rentabilité. Sans surprise, les scores ESG liés à la gouvernance ont affiché la plus forte corrélation avec la qualité globale, et les scores ESG liés aux questions sociales la plus faible corrélation. La corrélation entre les facteurs ESG et de qualité s’est avérée plus élevée après la pandémie de coronavirus. En parcourant l’historique des rendements de portefeuille par rapport à un ensemble de facteurs multiples (qualité, dynamique, volume, valeur et ESG), les auteurs ont conclu que le facteur ESG générait sa propre prime, mineure mais relativement stable, indépendante des autres facteurs.

 

 

 

 

 

1. Il est utile de rappeler que les facteurs sont un ensemble de caractéristiques primées pour leur association à des sources de risques bien identifiées, des obstacles structurels ou des biais comportementaux. Ils sont systématiques dans le sens où ils s’appliquent à toutes les entreprises partageant les caractéristiques qui définissent un facteur. Les entreprises ont toujours pu générer un rendement «supplémentaire» (positif ou négatif) qui ne peut s’expliquer par des facteurs. Cette performance singulière constituera le «véritable» alpha au niveau d’une seule action ou d’un portefeuille entier.
2. «Integrating ESG into factor portfolios», Melas D., 2016, MSCI Research – «Assessing Risk through Environmental, Social and Governance exposures», Dunn J., Fitzgibbons S., Pomorski L., 2018, Journal of Investment Management.
3. Madhavan A., Sobczyk A. and Ang A. “Toward ESG Alpha: analyzing ESG Exposures through a Factor Lens” (Financial Analysts Journal, 2021).
4. Chen Y. and Deleon A. (2020) “Financial Quality metrics and ESG factor interactions in Equity markets”, The journal of Impact & ESG investing
5. “The alpha and beta of ESG investing”, Bennani L., Guedenal L.G., Lepetit F., Mortier L. Ly. V., Sekine T., Amundi, 2018.
6. “ESG and Quality are not the same”, Behringer A.-K., Bush R., Dahlhaus J., Sidorovitch I., The Journal of ESG and Impact Investing, Spring 2023.

 

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